Droit de la construction et forclusion décennale : arrêt Cour de cassation du 9 octobre 2025
1. Contexte et faits
Par un arrêt rendu le 9 octobre 2025, la Cour de cassation juge que la reconnaissance de responsabilité par le constructeur, intervenue après l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, ne constitue pas une cause d’interruption du délai de forclusion décennale.
Les faits étaient les suivants : le maître d’ouvrage avait confié en 2005 la construction d’une fosse à lisier et de logettes à un constructeur. Un effondrement du mur porteur de la fosse s’est produit le 7 mars 2018. Le maître d’ouvrage a assigné le constructeur et l’assureur multirisque exploitation en mai et juin 2020. La cour d’appel a déclaré l’action prescrite/forclose. La Cour de cassation a partiellement cassé l’arrêt, mais précisément en ce qu’il avait déclaré irrecevable l’action contre l’assureur. Concernant la reconnaissance de responsabilité et la forclusion décennale, elle statue que celle-ci ne suffit pas à interrompre le délai de forclusion.
2. Quel est le problème ? Prescription vs Forclusion
Il convient de rappeler la distinction essentielle entre prescription et forclusion :
La prescription est l’extinction d’un droit ou d’une action du fait de l’écoulement du temps, et elle peut être interrompue ou suspendue dans certains cas (par exemple, reconnaissance du droit par le débiteur).
La forclusion, en revanche, est un mécanisme plus rigoureux : passé un certain délai fixé par la loi, l’action ne peut plus être exercée. Elle n’est pas (sauf texte contraire) régie par les règles de la prescription, et donc ne se prête pas aux mêmes effets d’interruption ou de suspension.
Dans le domaine de la construction, l’action en garantie décennale instituée par l’article 1792-4-1 et suivants du code civil est un délai de forclusion de dix ans à compter de la réception des travaux.
3. Que dit l’arrêt du 9 octobre 2025 ?
L’arrêt de la Cour de cassation rappelle et clarifie plusieurs points :
Il rappelle qu’avant la loi du 17 juin 2008, la jurisprudence admettait que la reconnaissance, par le débiteur, du droit de celui contre lequel il prescrivait (ou forcluait) pouvait interrompre le délai de garantie décennale.
Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai de forclusion n’est plus régi par les dispositions du chapitre I du titre XX du Code civil relatives à la prescription. En conséquence, la reconnaissance de responsabilité par le constructeur n’interrompt pas ce délai.
De façon particulièrement importante, la Cour précise que cette règle s’applique même si le délai de forclusion avait commencé à courir avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. Autrement dit, l’effet strict du texte s’applique même aux situations en cours d’écoulement avant la loi (dans les limites de l’effet immédiat de la loi nouvelle).
4. Les conséquences pratiques pour les acteurs de la construction
Pour les maîtres d’ouvrage, les constructeurs et les assureurs, cette décision comporte des implications majeures :
Pour le maître d’ouvrage : Il doit veiller scrupuleusement au point de départ du délai de forclusion (réception des travaux) et ne pas compter sur une reconnaissance de responsabilité du constructeur pour prolonger ce délai.
Pour le constructeur : Même s’il reconnaît sa responsabilité, cela ne suffit pas à rouvrir le délai de forclusion. Il est donc dans son intérêt de veiller à la couverture de ses assurances et à limiter les effets financiers potentiels dans la période de garantie.
Pour l’assureur : Cette jurisprudence renforce la sécurité juridique quant aux limites temporelles de l’engagement garanti ; l’assureur ne peut pas se voir tirer indéfiniment dans la garantie en s’appuyant sur une reconnaissance tardive de responsabilité qui aurait rouvert le délai.
5. À ne pas confondre : interruption vs suspension vs reconnaissance
Quelques rappels utiles :
L’interruption : remise à zéro du délai, permettant un nouveau décompte.
La suspension : mise en attente de l’écoulement du délai (ex. : en cas d’incapacité, de procédure pendante).
La reconnaissance du droit (par le débiteur) est un effet classique pour la prescription, mais pas pour la forclusion décennale (depuis la loi de 2008).
Une assignation en justice demeure un moyen possible d’interrompre ou de faire courir un nouveau délai quand le texte le prévoit. Par exemple, l’article 2241 du code civil prévoit que seule la demande en justice peut interrompre la forclusion.
6. Conclusion
Cet arrêt du 9 octobre 2025 de la Cour de cassation rappelle, sans surprise mais avec clarté, que la reconnaissance de responsabilité par le constructeur ne suffit pas à interrompre le délai de forclusion décennale instauré par l’article 1792-4-1 et suivants du Code civil. Il confirme ainsi la distinction essentielle entre forclusion et prescription, et la rigueur du régime de la garantie décennale. Pour les parties concernées, il convient d’avoir une gestion temporelle rigoureuse et de ne pas compter sur des actes unilatéraux de reconnaissance pour prolonger un délai légal.
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