L’obligation de résultat du sous-traitant : 
présomption de faute et de causalité renforcée

Par un arrêt du 9 octobre 2025 (n° 23-23.924), la troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle avec force que le sous-traitant est tenu, envers l’entrepreneur principal, d’une obligation de résultat. Cette obligation emporte présomption de faute et de causalité, dont le sous-traitant ne peut s’exonérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère.
En censurant la cour d’appel de Montpellier, qui avait écarté la responsabilité du sous-traitant au motif que les désordres n’étaient pas d’une gravité décennale et qu’aucune preuve de préjudices n’était rapportée, la Cour réaffirme la rigueur de ce régime.

Cour de cassation, arrêt du 9 octobre 2025, pourvoi n° 23-23.924

1. Un arrêt de principe sur la nature de l’obligation du sous-traitant.

La Cour de cassation rappelle que le sous-traitant est tenu envers l’entrepreneur principal d’une obligation de résultat, et non de moyens. L’obligation de résultat se définit par l’engagement d’atteindre un résultat déterminé : la conformité de l’ouvrage ou de la prestation commandée.

Contrairement à l’obligation de moyens, le créancier n’a pas à démontrer la faute du débiteur : le seul constat de l’inexécution suffit à engager la responsabilité.

La Cour applique ici cette logique avec rigueur : le sous-traitant qui livre des travaux affectés de désordres, fussent-ils seulement esthétiques, est présumé fautif et tenu d’indemniser l’entrepreneur principal.

2. L’autonomie du régime contractuel par rapport à la garantie décennale.

Un apport important de cet arrêt tient au refus d’assimiler la responsabilité contractuelle du sous-traitant au régime décennal des articles 1792 et s. Code civil.

La cour d’appel de Montpellier avait écarté la responsabilité du sous-traitant en se fondant sur l’absence de gravité décennale (pas d’atteinte à la solidité, ni impropriété à la destination).

La Cour de cassation casse logiquement : ces critères n’ont pas vocation à s’appliquer dans les rapports entre entrepreneur principal et sous-traitant, qui sont purement contractuels.

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante distinguant les régimes :

  • la garantie décennale, d’ordre public, protège le maître de l’ouvrage,
  • la responsabilité contractuelle, relevant du droit commun (art. 1231-1 C. civ.), régit les rapports entre les co-contractants, ici le sous-traitant et l’entrepreneur principal.

La confusion commise par la cour d’appel illustre une dérive fréquente : appliquer le prisme de la responsabilité décennale à toute inexécution dans le domaine de la construction.

L’arrêt réaffirme que la gravité des désordres est indifférente en matière contractuelle : un désordre esthétique engage déjà le sous-traitant.

3. Le régime probatoire favorable à l’entrepreneur principal.

L’apport majeur réside dans la réaffirmation du régime probatoire spécifique à l’obligation de résultat.

Présomption de faute : le sous-traitant est présumé avoir commis une faute dès lors que le résultat promis n’est pas atteint.

Présomption de causalité : il existe une présomption que les désordres constatés sont à l’origine des préjudices subis.

Il ne revient donc pas à l’entrepreneur principal de démontrer un lien de causalité précis entre les malfaçons et ses préjudices.

Cette charge incombe au sous-traitant, qui ne peut s’exonérer qu’en prouvant l’existence d’une cause étrangère (force majeure, fait du tiers, faute de la victime).

La Cour rétablit ainsi une logique protectrice du créancier et corrige l’inversion de la charge de la preuve opérée par les juges du fond.

4. Le rappel du principe de non-dénaturation des pièces.

Enfin, la Cour sanctionne la dénaturation. L’entreprise principale avait produit trois devis chiffrant la reprise des malfaçons (124 530,08 €), mais la cour d’appel avait retenu qu’« aucune pièce » n’était produite.

La Cour rappelle que le juge ne peut ignorer ni travestir les pièces versées aux débats, sous peine de violer le principe de non-dénaturation. Cette exigence renforce la sécurité procédurale et le contrôle de la Cour de cassation.

5. Portée doctrinale et pratique de l’arrêt.

A. Une confirmation de la rigueur de l’obligation de résultat.

L’arrêt illustre la sévérité du régime applicable au sous-traitant.
Celui-ci ne bénéficie d’aucune souplesse :

  • il doit livrer une prestation conforme,
  • il est responsable de toute inexécution, même esthétique,
  • il ne peut s’exonérer qu’en rapportant la preuve stricte d’une cause étrangère.

Cela accroît la protection de l’entrepreneur principal et, indirectement, du maître de l’ouvrage.

B. Une clarification bienvenue entre deux régimes distincts.

La décision réaffirme l’autonomie du régime contractuel par rapport à la garantie décennale.

Elle évite un glissement qui affaiblirait la position de l’entrepreneur principal, en imposant un seuil de gravité (solidité, destination) étranger à la logique contractuelle.

Cette clarification doctrinale est précieuse, elle rappelle que toute inexécution engage le sous-traitant, indépendamment de sa qualification décennale.

C. Des implications pratiques pour les acteurs de la construction.

 Pour les sous-traitants : vigilance maximale sur la qualité d’exécution. Même un défaut d’ordre esthétique peut entraîner condamnation.

 Pour les entrepreneurs principaux : la décision leur confère un levier puissant pour exiger la conformité des prestations, la charge probatoire étant allégée.

 Pour les praticiens : l’arrêt conforte la stratégie consistant à invoquer l’obligation de résultat du sous-traitant, plutôt que d’essayer de transposer les critères de la garantie décennale.

D. Une portée plus large : l’affermissement de la théorie des obligations.

Cet arrêt illustre plus largement la logique du droit des contrats :

  • l’obligation de résultat, lorsqu’elle existe, inverse le rapport de force probatoire,
  • elle tend à sécuriser le créancier en rendant la responsabilité quasi-automatique,
  • elle participe à la rationalisation des contentieux de construction, en évitant des débats complexes sur la gravité des désordres.

Conclusion

En rappelant que le sous-traitant est tenu d’une obligation de résultat assortie d’une double présomption de faute et de causalité, la Cour de cassation renforce une ligne jurisprudentielle exigeante.

L’arrêt souligne l’indépendance du régime contractuel vis-à-vis de la garantie décennale et confirme que le moindre manquement engage la responsabilité du sous-traitant.

Il contribue à sécuriser la position des entrepreneurs principaux et à renforcer la cohérence du droit des obligations, au prix d’une responsabilité particulièrement lourde pour les sous-traitants.

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